OÙ METTRE VOS ACTIFS AUJOURD’HUI ?

Il faut réapprendre pas mal de principes d’investissement dans les circonstances actuelles – et notamment une différence essentielle : celle entre « bonnes » et « mauvaises » bulles.

Il faut réapprendre la finance, disions-nous hier – pour plusieurs raisons… et notamment celle-ci : nous sommes désormais dans un monde insensé où les taux réels sont négatifs, et pire encore, les taux nominaux le sont également.

Les valorisations absurdes de certains actifs financiers surévalués deviennent « justifiées » d’un point de vue mathématique. En réalité, si les taux sont très faibles, voire en territoire négatif, il devient ridicule d’évaluer le prix de certains actifs.

Ne perdons pas de vue que la valeur fondamentale d’un actif n’est rien d’autre que la somme actualisée (à un taux d’intérêt donné) de flux de revenus futurs. Cela signifie qu’actualiser ces flux à un taux d’intérêt de plus en plus faible revient à valoriser les actifs à des niveaux stratosphériques.

Si on veut leur donner une valeur réaliste, il faut alors corriger le prix de l’actif avec une prime de risque extraordinaire.

Une chose est sûre en tout cas…

… C’est que les taux négatifs défient le bon sens économique.

Le rôle des taux

Le taux d’intérêt permet de réguler l’économie et doit, en principe, refléter le degré de rareté des capitaux disponibles. Si des projets économiques ne sont pas en mesure de créer suffisamment de richesses pour couvrir le coût des ressources empruntées, ils ne sont tout simplement pas rentables.

Rien de tout cela aujourd’hui ne se produit grâce ou plutôt à cause d’une répression financière organisée par les banques centrales qui a totalement faussé l’économie en « nationalisant » les marchés monétaires (cf. l’histoire de la BCE depuis 12 ans avec ses LTRO, VLTRO, TLTRO1, TLRO2 et TLTRO3) et les marchés obligataires (cf. les QE qui ne se terminent en réalité jamais).

Les signaux envoyés à l’économie sont donc particulièrement malsains puisque cette indétermination des prix des actifs ne permet plus de comprendre si tel actif est surévalué ou non par rapport à sa valeur fondamentale.

Pire, on devient incapable d’identifier des bulles sur les marchés financiers – et donc d’anticiper les crises financières.

Cela conduit beaucoup d’économistes ou d’investisseurs à des analyses extrêmes : soit systématiquement optimistes en se reposant sur l’aléa moral que les banques centrales ont installé en tant qu’acheteuses de titres et prêteuses de liquidités en dernier ressort…

… Soit systématiquement pessimistes en anticipant en permanence des krachs. Rappelons quand même que si des krachs sont annoncés pour un oui pour un non, non seulement la crédibilité de ces annonces est de plus en plus réduite, mais aussi les investisseurs, spéculateurs et autres agents économiques privés seront tellement préparés financièrement et psychologiquement que ces catastrophes ne se produiront pas.

Difficile de choisir entre ces thèses radicalement opposées pour construire son allocation d’actifs. Si l’on part de l’idée selon laquelle les taux réels vont être durablement négatifs (ce qui n’est pas irréaliste), il va falloir sélectionner tous les actifs dont le rendement espéré ne coûte rien.

Vers où se tourner ?

On peut alors surpondérer les actifs réels au sens large :

– l’or (les cryptomonnaies peuvent également être retenues), dont le rendement est certes nul mais au moins non négatif ;

– certaines actions assimilables à des actifs tangibles et qui distribueront des dividendes réguliers ;

– certains actifs immobiliers (SCPI de manière très sélective afin de tenir compte du contexte difficile de l’immobilier de bureau et de l’immobilier commercial durant cette crise du Covid-19).

Nous sommes donc loin des réflexes traditionnels d’allocation sur les classes d’actifs traditionnelles : monétaire, obligataire, actions.

Doit-on pour autant ignorer totalement les déterminants traditionnels de valorisation ? Non, absolument pas.

Le PER n’est pas mort !

Pour commencer, la notion de PER n’est pas morte. Même si nous devons intégrer de nouveaux paradigmes – notamment celui de la liquidité mondiale, qui doit conduire à accepter des PER plus élevés et donc des niveaux de valorisation plus élevés, on est en droit de s’interroger sur certains excès.

Qui peut justifier fondamentalement qu’Amazon affiche un PER de 91 (ce qui veut dire que l’action se paie 91 années de bénéfices) sans perspectives de dividendes ? Que penser de Netflix dont le PER ressort à 81, là aussi sans perspectives de dividendes ?

Sans oublier des niveaux de valorisation que personne ne peut raisonnablement expliquer… si ce n’est que nous serions rentrés dans un nouveau monde avec Zoom qui affiche un PER de 1 355 et Tesla dont le PER se situe autour de 1 100.

Certes, les modes de communication et de travail ainsi que les modes de transport vivent une révolution mais pas au point d’afficher des valorisations qui font abstraction du temps.

Dans l’ancien monde, diront avec prétention ceux qui nous vendent un prétendu nouveau monde, un PE de 30 à 40 était déjà représentatif d’une valeur de forte croissance

Alors on viendra nous dire, par exemple, que Tesla serait le Amazon ou le Google du monde de la voiture électrique – avec un pricing power et la construction d’une situation de quasi-monopole. Pas si sûr, car Google et Amazon fonctionnent en rendements croissants (chaque nouvel utilisateur valorise le réseau pour les suivants).

Pour Tesla c’est un tout autre business model car rien ne permet de penser que cette entreprise sera le seul constructeur de véhicules électrique et disposera de son pricing power jusqu’à la « fin des temps »

On voit bien qu’il n’est pas inutile de s’interroger sur certaines valorisations stratosphériques, fussent-elles de la nouvelle économie.

Bulles utiles contre bulles dangereuses

Revenons à la notion de bulle sur les marchés financiers. Nous avons écrit que l’on peut parler de bulle lorsque la valeur d’un actif est totalement déconnectée de la réalité économique.

Par exemple, pour un actif boursier, il s’agira d’une déconnexion entre le prix de l’action et la croissance anticipée des bénéfices – puisque le prix d’une action n’est rien d’autre que la somme actualisée des bénéfices annuels anticipés dans le futur.

Si l’on regarde l’histoire des marchés financiers de ces 20 dernières années (le XXIème siècle en quelque sorte), trois grandes bulles ont existé et éclaté, conduisant à des crises financières.

Dans chacune de ces crises, il y a eu des déviations significatives des prix des actifs par rapport à leurs fondamentaux ; en d’autres termes, des situations d’excès d’endettement par rapport aux capacités de remboursement (crise de solvabilité et/ou incapacité à générer des résultats et à accroître ses fonds propres).

1/ On se souvient des cours surévalués et délirants des actions des entreprises télécoms surendettées en 1999-2000 avec l’éclatement de bulle qui a suivi.

2/ On se souvient aussi des crédits subprime aux ménages US surendettés et mal-endettés en 2004-2006 et des produits structurés adossés à ces crédits « pourris ». Cela a débouché sur une crise sans précédent de la titrisation en 2007 et des effets de contagion impressionnants, illustrés par la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008.

3/ A partir de fin 2009 et ce jusque durant l’été 2012, nous avons vécu un autre type de surendettement, celui de certains Etats souverains de la Zone euro.

Mais alors aujourd’hui ?

Oui, il y a des bulles un peu partout… mais il y a la création monétaire illimitée et le put des banquiers centraux. Comment structurer son allocation d’actifs dans ces nouvelles conditions ?

Il va falloir distinguer entre les bulles, celles qui sont dangereuses et auxquelles il ne faut surtout pas participer d’une part, celles qui sont économiquement tolérables d’autre part.En réalité, tout va dépendre de la situation de l’économie d’un pays ou d’une zone géographique (en excédent de capital ou en déficit de capital) et du type d’actif sur lequel porte la bulle (actif productif ou non productif).

1/ Si la bulle porte sur des actifs non productifs (type immobilier) dans des pays en situation d’excès de capital productif, comme cela est le cas de nombreux émergents, alors il n’y a pas de danger imminent (on assiste juste à un rééquilibrage des excédents d’épargne).

2/ Si, à l’opposé, la bulle porte sur des actifs dits productifs (actions), dans des pays en situation de déficit de capital, il n’y a pas de danger imminent là non plus, puisque la valeur des entreprises s’accroît – et donc leur capacité d’investir. Là encore, il s’agit d’un rééquilibrage des excédents d’épargne.

3/ Les bulles dangereuses sont donc celles qui consistent à investir dans des actifs improductifs dans des pays en situation de déficit de capital alors que le taux de croissance est faible et qu’il y a insuffisance de capital productif dans l’économie.

On pense au Japon du début des années 1990 avec l’immobilier (on a vu le résultat)… On peut penser aussi aux Etats-Unis et à certains pays européens (Espagne, Irlande…) avec différentes formes d’immobilier subprime entre 2005 et 2007.

Aujourd’hui, la bulle sur les emprunts d’Etat est clairement dangereuse car la hausse des encours de dette publique n’a pas comme contrepartie une hausse des investissements publics productifs.

Certes, cette bulle n’éclate pas car les dettes sont monétisées par les banques centrales, mais il serait absurde d’acheter ce type d’actifs sous prétexte qu’il y aura toujours un acheteur en dernier ressort.

La plus grande bulle des temps modernes est bien entendu la bulle de la monnaie. Nous ne sommes pas dans le schéma de la macro-économie traditionnelle qui expliquait aux étudiants en économie que la création monétaire était ni moins ni plus que la contrepartie de crédits productifs à l’économie.

Nous sommes dans un schéma où l’essentiel de la création monétaire est improductive pour l’économie car utilisée pour acheter des actifs financiers : immobilier et actions (via l’« argent par hélicoptère »), obligations corporate et obligations d’Etat (au niveau des banques via les opérations banques centrales pour la partie qui n’est pas prêtée à l’économie réelle, au niveau des banques et institutionnels via la liquidité reçue des banques centrales dans le cadre des politiques de rachat d’actifs type QE).

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